Palix | illustrations | BD | bandes dessinées | dessins de presse

Flux RSS Palix | Flux RSS dessins

La table renversée

Palix | illustration

 

Brassens, dans sa chanson Boulevard du temps qui passe, parle de la révolution – ou plutôt de ce désir de révolution qu’on a tous quand on est jeune. On en veut, on veut la faire, et on le chante, et on le crie bien haut et bien fort : ça va barder, c’est sûr ! On va voir ce qu’on va voir… C’est que la révolution qu’on veut, nous, c’est une révolution dans les grandes largeurs… Une révolution de fond en comble… On veut – je cite Brassens – tout remettre à neuf, refaire 89, reprendre un peu la Bastille… On ne veut rien laisser debout, on veut tout flanquer cul par-dessus tête !
Hélas, ça ne dure jamais longtemps, ce désir-là… Il y a le principe de réalité. Principe auquel on se cogne, et… on se calme. Avec le temps qui passe, on se range peu à peu. On met de l’eau dans son vin. De plus en plus… Si tant qu’à la fin, le rouge finit par disparaître. Complètement.
Mais on peut aussi, pour ne pas renoncer tout à fait, se lancer dans la politique. Ou au moins s’y intéresser…
La France vient de nous gâter avec l’élection présidentielle. Grand moment ! Beau spectacle ! Et des discussions à n’en plus finir…
La langue est à la fête en pareille circonstance. Elle est on ne peut plus vivace, on ne peut plus vivante… Elle profite de l’ambiance pour se permettre des audaces rhétoriques, quelques inventions…
Cette fois, on a eu droit, entre autres inventions, à une expression imagée : renverser la table.
À peu près tous les candidats s’en sont servi. Et leurs supporters, et les journalistes… Tout le monde réclama ou évoqua le renversement de la table. Et, bien que le sens variât un peu selon le contexte et selon le locuteur – mais c’est normal : l’expression étant en cours d’installation, son sens n’est pas encore fermement établi –, chacun voulait dire, en l’employant, qu’il allait se passer quelque chose… Ou mieux : qu’il fallait faire en sorte qu’il se passât quelque chose. Quelque chose de décisif ; de définitif, même. Un geste fort, une réaction…
Je vous donne l’exemple d’un partisan de Bayrou : « Il faut renverser la table. Refuser la énième alternance promise par les Sofres, Ifop et compagnie. C’est notre devoir ! » Et celui-là, de Mélenchon : « Dans un jeu où la règle veut que l’un des joueurs perde tout le temps, il faut renverser la table. » Sarkozy a parlé, lui, de « la tentation de renverser la table ». Et… il a pris la porte !
Quoi qu’il en soit, il ne fait plus bon être une table de nos jours. Avant, on remettait juste en cause ce qu’il y avait dessus : « Du passé, faisons table rase… », disait Eugène Pottier dans L’Internationale. Et encore, c’était seulement les révolutionnaires les plus exaltés. Maintenant, tout le monde, de la gauche à la droite, veut faire un sort à la table elle-même.
Pauvre… pauvre table, qui pourtant n’a rien fait ; n’en peut mais !

Par Zapf DINGBATS

Illustration : Palix
Paru dans L’avenir de Luxembourg | Actu24

 

19 mai 2012 | Matière à dispute

 

Tags: , , , , ,

© 2012 - Palix | illustrations | BD | bandes dessinées | dessins de presse