Retour sur la charrette | Paru dans L’avenir de Luxembourg | Actu24
Je reviens à la charrette parce que je ne vous ai pas tout dit sur elle, l’autre lundi. – Il y avait trop ! Mais comme il en est justement question dans le film de Peter Strickland « Katalin Varga », actuellement sur vos écrans, selon la formule consacrée, alors j’en profite, ma foi !
Ce film, c’est une manière de road-movie, mais lent… Tout en lenteur et en charrette ! Il a pour décor la Transylvanie profonde, mystérieuse, inquiétante ; celle de Dracula (le grand diable en roumain). La Transylvanie avec son folklore et son écrasante nature, belle et brutale. Ses forêts et ses lacs, aux limites du fantastique. Et ça raconte l’histoire à la fois classique et tragique de la violence, de son cycle infernal. Il y a d’abord le viol de Katalin Varga puis les réactions en chaîne : le rejet, la honte, la haine, le désir de vengeance…
La femme bafouée et réprouvée et son enfant illégitime se lancent dans un périple éperdu. Elle fuit sa vie, elle erre dans son passé… Fuite, errance sur une charrette à cheval. Et, chemin faisant, elle finira par retrouver son bourreau… Transformé. Vivant heureux en famille. Que faire alors de son ressentiment, de sa haine ? Elle les abandonne. Elle choisit le pardon.
Le film se situe à notre époque. Mais voilà : le réalisateur a préféré la charrette à cheval à la voiture automobile. Plus symboliquement marquée. Plus efficace pour rendre compte de la fuite, de l’errance, de la quête de cette femme. Et de sa fragilité aussi, et du caractère tragique de sa situation.
La charrette, en même temps qu’elle sert le propos du réalisateur, expose le personnage. Elle le hausse, elle le présente. Elle le donne mieux à voir et à entendre, à saisir, à comprendre. Elle le met en scène. Et ça a d’ailleurs été, par le passé, un des usages de la charrette : la scène. Une scène de fortune.
Le théâtre, creuset de la civilisation, selon le père Hugo – « C’est au théâtre que se forme l’âme publique ! », clamait-il –, le théâtre est né sur une charrette, celle du poète grec Thespis, VIe avant J.-C. D’où l’expression conduire ou monter sur la charrette de Thespis pour dire qu’on embrasse la carrière théâtrale, qu’on mène la vie qui va avec, une vie errante, incertaine, faite de hauts et de bas… Une vie d’artiste, quoi ! Où la joie se mêle à la misère. Une vie de paria. Comme celle du grand et pauvre Molière.
On retrouve aujourd’hui cette évocation du théâtre dans une bande dessinée de Bonifay et Rossi, une histoire située cette fois dans l’Amérique du XIXe, l’Amérique de la guerre de Sécession. Et le titre de la série, c’est : « Le chariot de Thespis ». La charrette, ici, a été masculinisée. Comme on a dit longtemps conduire la charrette de l’état ? Puis c’est devenu le char.
Et je ne vous ai encore rien dit du bleu-charrette, avec tout ça. Ni du charrette qui peut être une insulte en français de Suisse. Une altération, une euphémisation de charogne…
Par Zapf DINGBATS
Illustration : Palix
Paru dans L’avenir de Luxembourg | Actu24